mercredi 15 décembre 2010

JEAN SATTONNAY, mon père. IN MEMORIAM.

                                              DES MOTS POUR MON PERE.

 Ces  mots ont été prononcés le mercredi 10 novembre 2010 devant les quelques personnes venues lui rendre hommage au cimetière de Grasse.

      Il s'est donc produit, par surprise, pendant son sommeil, l'Evènement terrible et inconcevable (1)qu'il envisageait pourtant parfois ces derniers temps comme une délivrance, tout en le redoutant : mon père est mort!

      Une délivrance, oui c'en est une, certainement, car les cinq dernières années de mon père n'ont pas été très heureuses: profondément fragilisé physiquement à la suite d'une hospitalisation nécessitée par une phase impressionnante de confusion mentale (heureusement résorbée par la suite contre tous les pronostics médicaux), il était aussi éprouvé moralement par la conscience qu'il avait de cette déchéance physique, par la nécessité où il se trouvait de ne plus vivre chez lui avec son épouse, et par l'état de sujétion permanente (certes difficilement évitable) que l'on connaît en maison de retraite; il est donc bien vrai que ce triste évènement met fin à une souffrance humaine.

     Mais, au delà du vieillard marchant à petits pas, toujours inquiet, soit à cause de ses misères physiques, soit par peur de déroger à tel règlement interne de l'institution qui a accueilli ses derniers jours et de se faire "mal voir", replié sur lui-même et ses problèmes de santé, et déjà comme "hors du monde" ("J'ai d'autres préoccupations" me disait-il au bout d'un moment quand j'essayais de l'intéresser à l'actualité)- dernière image de lui qui a malheureusement tendance à "gommer" les précédentes...il faut faire effort pour retrouver l'homme qu'il fut dans la plus grande partie de sa vie.

    Mon père, c'est incontestable, fut d'abord "un garçon sérieux": sérieux dans sa jeunesse, où il ne dilapida pas la chance que lui offrit sa mère de faire de bonnes études- une mère pourtant chargée d'enfants, qu'elle dut élever seule après la mort prématurée, à quarante ans, de son mari (un événement qui a , je crois, profondément traumatisé mon père, de même que la mort à la guerre d'un frère aimé: Maurice). Non, il ne dilapida pas cette chance: il fut au lycée de Lons -le-Saunier ,puis au lycée Corneille à Rouen, un très bon élève, le plus souvent parmi les deux ou trois premiers de sa classe.
     Sérieux, il le fut dans son mariage, et comme père.
     Sérieux, il le fut dans sa profession, où il fut très apprécié notamment pour sa compétence en tant que spécialiste du code de la route au ministère de l'Intérieur.
     Suffisamment sérieux et travailleur pour avoir élaboré une édition du Code de la Route qui permit en son temps aux jeunes policiers de toutes les casernes de France d'en apprendre les règles.
     Mon père n'a donc pas volé la décoration de l'Ordre National du Mérite qui lui a été accordée.

      Je crois aussi pouvoir dire que mon père a été quelqu'un de bon et de tolérant. Je ne l'ai jamais surpris en train de dire du mal de quelqu'un ; il aurait été incapable de "marcher sur la tête" d'un autre pour avoir une place (ce qui n'a pas spécialement favorisé sa carrière).
      Il s'est toujours soucié d'aider ses proches, même si leurs choix de vie n'étaient pas ce qu'il aurait souhaité ou étaient étrangers aux siens.
      Profondément athée (et il est resté fidèle à ses principes jusqu'au bout), il croyait en même temps à des valeurs humanistes qui le firent adhérer au parti socialiste (SFIO à l'époque) et intégrer la franc-maçonnerie.

       Il s'est toujours soucié aussi de ne pas mettre ses proches dans l'embarras, n'achetant pas par exemple un appartement pour éviter à ses héritiers d'avoir à assumer des "charges" trop lourdes; en toutes circonstances, et jusqu'à la dernière minute, il a eu comme premier souci d'assurer bien-être et sécurité à son épouse.Il faut voir avec quelle minutie il avait rédigé les instructions à suivre en cas de décès, préparant par avance les différents courriers administratifs à envoyer après sa mort, indiquant le détail des démarches successives à effectuer. C'est aussi pour cela qu'il avait souscrit un "contrat obsèques" censé soulager ses proches de maints désagréments.

       Ce fut un fils et un frère aimant et fidèle, malgré les distances imposées par la vie.
       Ce fut certainement un sentimental, mais pudique, n'extériorisant pas ses sentiments en paroles, mais les prouvant par des actes; n'extériorisant pas non plus ses amertumes:il en eut quelques-unes...

       Ce fut un "patron" estimé et aimé des ses hommes, quand il dirigeait par exemple le peloton motocycliste de la police routière à Dijon en début de carrière; estimé et aimé des employées qu'il avait sous ses ordres au Fichier National du Permis de conduire en fin de carrière. On comprend pourquoi après ce que je viens de dire.

        Ce fut certainement aussi un homme timide, aimant la vie simple, peu à l'aise dans les mondanités, qui ne se plaisait jamais autant que dans la solitude de la nature avec son épouse (je pense à ces piques-niques et à ces longues promenades dans les bois de l'arrière pays de Grasse pendant des années...)
         Etre avec son épouse suffisait à son bonheur. Dans ses derniers jours, séparé d'elle, il ne vivait que pour son coup de téléphone quotidien, à heure fixe. C'était la seule vraie lumière probablement dans la nuit de sa vieillesse triste. Et quelle catastrophe au moindre retard!
         Pour moi, mon père, ce fut une vraie figure de père, solide, attentive, mais aussi capable d'autorité.
          Quelqu'un sans doute que je n'aurais jamais voulu décevoir, ou blesser.
          A 64 ans, je me sentais encore un fils, cela mettra sans doute encore longtemps à s'effacer.

                                                                                                                           15/12/2010.

 (1) Je ne sais pas comment ça va finir, tout ça, répétait-il les derniers temps avec une sorte de naïveté . Hélas...

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